LA COLLECTION LIGHT

3 par 4, de Daniel Foucard

Extrait :

Je n’ aime pas les discussions oiseuses. Aussi, puisque pour la première fois, l’ occasion m’ est donnée d’ exposer ma théorie esthétique, je veux qu’ on l’ entende comme absolument indiscutable. Il n’ y a aucune nuance à y apporter, aucune matière à discussion, aucune opposition. Ma théorie esthétique du 3 par 4 est mieux qu’ un axiome ou un postulat, beaucoup mieux qu’ une suite algébrique, c’ est une aporie. Et les apories ne se discutent pas.
En général, je n’ aime pas trop qu’ on trouve à redire sur ce que je dis, mais là, avec cette théorie du 3 par 4, inutile de la ramener. J’ admets qu’ on puisse se faire une opinion mais pas qu’ on nie l’ évidence. Chipoter serait d’ avance hors de propos. Hors sujet, comme on dit. La vraie bonne attitude consiste donc d’ abord à valider chacun des aspects de l’ énoncé puis à valider l’ ensemble. C’ est simple.
Comme 55 % de l’ assistance ne sait pas ce qu’ est une aporie, ce sera d’autant plus simple.
Ma théorie esthétique et aporétique du 3 par 4 commence par l’ axiome suivant : toute oeuvre contient trois niveaux de lecture : l’ enveloppe, le contenu et le noyau. L’ enveloppe c’ est le style, le contenu c’ est le contenu, le noyau c’ est le noyau.
On a beaucoup ergoté sur cette notion de style. À juste titre. Il innove, il enjolive, il émeut, d’ accord. Mais le style c’ est d’ abord ce qui reste quand on a critiqué et déboulonné le contenu. Quand un concepteur se trompe dans ses calculs, quand il prend ses désirs pour des réalités et qu’ on lui fait remarquer, quand il croit bon d’ en rajouter sur le ton de : moi je sais et vais vous expliquer et qu’ on lui dit à quel point il ne sait pas, il lui reste le style.
Le contenu est donc ce qui fait le plus parler. On a toujours des tonnes de trucs à dire sur le contenu puisque le contenu est de loin ce qu’ il y a de plus abordable. Le concepteur nous raconte des histoires, façonne l’ action, l’ augmente de digressions, puise dans un corpus d’ oeuvres de références, convoque la psychologie, s’ implique dans le récit, etc. Voilà un contenu. On peut s’ en moquer, le trouver indigent, plagiaire, ennuyeux, inutilement bavard. Là encore, s’ il est écrit avec style, il s’ en tire à bon compte.
C’ est ce qu’ on croit. Car il reste encore le noyau. Le noyau est ce qui n’ est ni du style, ni du contenu, même s’ il prend l’ apparence d’ un contenu caché. Le noyau est l’ énergie secrète des deux autres, donc une énergie qui ne se voit pas. On parle rarement du noyau car on préfère toujours parler de ce qu’ on voit. Même le concepteur n’ en parle pas. Pourtant, il suffit de représenter graphiquement l’ enveloppe autour d’ un contenu pour voir apparaître un noyau résiduel.
La preuve par l’ image :
Vous avez là d’ abord l’ enveloppe, donc le style, très mince.
Vous avez le contenu, épais.
Il vous reste le noyau au centre.
1, 2 et 3
La quasi totalité des ouvrages conçus par Roussel illustre parfaitement la règle des trois niveaux de lecture. Auteur intéressant puisque sa renommée n’ est plus à faire, disons qu’ entre 55 % et 65 % de l’ assistance a lu un ou plusieurs livres de Roussel. Ce cas est d’ autant plus intéressant que de nombreuses confusions ont circulé à son sujet. La plus connue concerne son imagination délirante structurée par sa passion du jeu.


3 par 4, de Daniel Foucard, 2010, Rosascape, Paris.
3 par 4 est le texte d'une lecture-performance de Daniel Foucard créée le 22 septembre 2010 et interprétée par Véronique Lévy. Ce texte s'inscrit en résonance avec l'oeuvre de Benoît Maire et plus particulièrement avec Histoire de la géométrie n°9 créée dans le cadre du projet Libelle.